Musicien inclassable, Jhyve met son âme à nu pour trouver sa voix.

C’est une chose pour un musicien que de signer un contrat avec un label. C’en est une autre que de classer sa musique dans une catégorie musicale.

Pour un artiste, être classé dans une catégorie ou un genre musical particulier peut fournir l’impulsion initiale nécessaire pour se faire connaître, dit Jhyve, ancien participant au programme À l’affiche avec RBCxMusique. « Les artistes qui réussissent le mieux sur le plan commercial commencent en quelque sorte par trouver leur place, puis continuent simplement d’investir leur énergie dans le même sens. »

Cependant, ajoute-t-il, d’autres artistes « manquent d’air dans une catégorie, s’y sentant limités par la compréhension très étroite que les gens ont d’eux. Ils n’ont pas assez d’espace pour expérimenter. »

L’artiste torontois reconnaît sans hésiter qu’il appartient à ce second groupe. Cela ne l’a toutefois pas empêché de jouer avec les frontières du rhythm and blues, un genre auquel il est fréquemment associé. Cette façon de faire est naturelle pour un artiste dont l’éducation musicale a consisté davantage à explorer une mosaïque qu’à fusionner des influences.

« Quand j’étais enfant, mes parents jouaient du soul, de la soca, du gospel et du blues. À l’université, j’ai entendu tous les types de musique, de Ben Harper à Led Zeppelin. La première fois que j’ai pris une guitare, c’était pour apprendre à jouer Wonderwall. »

Le musicien, qui a déjà été en nomination aux prix Juno, crée des enregistrements où s’entrelacent de nombreuses fibres musicales. Sur Better, les tonalités majeures des mélodies et les « 808 beats » créent une fusion des sensibilités pop et hip-hop. (Du hip-pop, ça vous dit ?) Quant à la pièce Rapture, elle pourrait avoir été écrite pour Rufus Wainwright. Et sur Mad, la guitare semble déborder d’une énergie ancrée dans les racines americana, une caractéristique qui a déconcerté bon nombre d’admirateurs de longue date de l’artiste, a dit ce dernier. « La pièce a disparu très rapidement des listes de lecture R&B, car les gens ne savaient pas où la situer. »

Et puis il y a la question des choses dont parle Jhyve. Quand, sur Optional, il chante « I’m too cute to be number two » (je suis trop charmant pour être le numéro deux), il se donne la prestance d’un Barry White ou d’un Mick Jagger. Mais la démarche assurée laisse place au doute de soi dans Down : I can’t love you, Cause I don’t love me, This baggage I carry, Making me buckle my knees. (Je ne peux pas t’aimer, Parce que je ne m’aime pas, Ce bagage que je traîne, Et qui me fait plier les genoux.)

La spirale de la dépression dont parle Jhyve dans Down (pièce de l’album Rapture) tirait son origine des pressions extérieures demandant à l’artiste de restreindre l’ampleur de son expérimentation créative. « Les gens avaient cette idée que je pouvais être un Michael Bublé noir. Ils disaient : “Ce que tu fais est formidable, mais mettons un band derrière toi. » Mais pour être honnête, personne n’avait de telles attentes à mon égard, moi y compris. »

Cependant, il s’en est suivi une douloureuse recherche intérieure pour Jhyve. Cela l’a amené à une consommation excessive d’alcool. Se rendre au travail s’est transformé en une corvée. Il a demandé de l’aide, et avec le temps il est sorti de cette période sombre.

« Dans des choses comme l’alcoolisme ou la dépression, une part importante est une expression du fait d’être en contradiction avec une vérité, dit-il. Il faut trouver une façon de réconcilier ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de soi. Pour moi, fondamentalement, la clé a été de découvrir qui j’étais en tant qu’artiste, et ce à quoi j’aspirais. »

Down est devenue l’une des chansons de Jhyve que le public a le plus appréciées à ce jour.

Jhyve

Photo : La spirale de la dépression dont parle Jhyve dans Down (pièce de l’album Rapture) tirait son origine des pressions extérieures demandant à l’artiste de restreindre l’ampleur de son expérimentation créative.

« Je m’attendais à ce que les gens trouvent la chanson étrange, dit-il. Mais au lieu de cela, en entendant le doute et la vulnérabilité dans les paroles, ils ont pensé : “Oui, je sais de quoi il parle. » »

La chanson a aussi fait bonne impression sur les employés de RBC réunis à l’occasion d’un événement du Mois de l’histoire des Noirs, ce qui a fait particulièrement chaud au cœur à Jhyve. « Il semble y avoir un manque de ressources en ce qui concerne certaines difficultés particulières des personnes de couleur en matière de santé mentale, dit-il. Ces difficultés sont peut-être liées à la réalité des immigrants, à un enjeu culturel. Et donc la chanson est un appel lancé à l’univers, une occasion d’attirer l’attention sur le besoin de ressources additionnelles. »

Son nouveau projet s’amorce là où Down l’avait amené. « Dans mon dernier album, il était question de ma démarche pour refaire surface ; dans le nouveau, l’accent sera mis sur l’élimination de cette version de moi-même qui avait sombré. En somme, c’est une guerre contre une ancienne identité afin qu’une nouvelle puisse émerger. »

Thématiquement, l’album parlera d’habitudes, un sujet qui exerce une profonde fascination sur Jhyve. « Fondamentalement, la majeure partie de ce que nous faisons et de notre façon de vivre est déterminée par des habitudes. Mais celles-ci, pour la plupart, agissent dans notre subconscient. Il y a quelque chose de terrifiant dans cela. »

Par ailleurs, on ne s’étonnera pas d’apprendre que cet album marquera une évolution musicale par rapport aux productions existantes de l’artiste. Celui-ci parle des pièces comme ayant un caractère contemplatif, mais présenté de façon plus éclatante et colorée.

La date du lancement n’est pas encore fixée. « L’album sera prêt lorsqu’il le sera, souligne Jhyve. L’art procède par tâtonnements. Et créer est un processus chaotique. »

C’est là une approche que l’artiste a pu apprécier davantage grâce à l’encadrement et au mentorat dont il a bénéficié en tant qu’artiste d’À l’affiche avec RBCxMusique. « Ça a été une expérience d’apprentissage. J’ai pu à la fois renforcer mes acquis et développer de nouvelles aptitudes. Maintenant que je travaille auprès d’artistes émergents, je peux voir l’ampleur des connaissances qui leur manquent. »

Il a aussi tiré profit d’occasions de se produire sur scène. « Essentiellement, être artiste, cela signifie communiquer un message, voir et être vu, et partager une expérience dans un esprit de solidarité. »

Jhyve est optimiste en ce qui concerne la scène musicale canadienne, et particulièrement le rôle que les musiciens noirs sont appelés à y jouer.

RBC x MUSIC With Special Guest WALLOWS At RBC House Toronto International Film Festival 2022

Photo : J’ai pu à la fois renforcer mes acquis et développer de nouvelles aptitudes avec Programme À l’affiche avec RBCxMusique dits Jhyve.

« Il y a tellement d’artistes qui ont fait leur place à la suite de Drake, dit-il. Cela m’indique que notre présence n’est pas le fruit du hasard. En bonne partie, c’est en tant que créateurs que nous avons contribué au monde de la musique. Mais je crois qu’avec le temps, les artistes noirs se mettront à jouer un rôle plus vaste dans l’industrie et deviendront des mentors pour les générations suivantes. »

Il ajoute : « RBC consacre du temps, des ressources et de l’argent à faire en sorte que d’autres artistes puissent faire entendre leur voix. La Banque n’est pas obligée d’agir de la sorte, mais elle le fait. Je trouve cela formidable. »

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