« En arrivant en tant qu'immigrants, on a nos bagages, mais on n'a pas l'historique de crédit exigé. Il faut tout construire de zéro. »
Cet article a été initialement publié sur Découverte et apprentissage le 24 octobre 2022.
Photo par: Yanick MacDonald
Sonel Merjuste et Jasmine Exael sont partis d’Haïti pour emménager au Québec en 2008. Le couple partage de nombreuses réussites : une famille unie, une vision d’affaires commune et un franc succès avec leur marque Tempehine, créée par leur entreprise, Les Aliments Merjex.
Un parcours entrepreneurial hors du commun
Il n’y a jamais eu de doute pour Sonel Merjuste qu’il deviendrait entrepreneur au Québec. Sa motivation? Redonner à ce Québec qui les a si bien accueillis et où la petite famille se sent bien. « La première chose à faire était d’aider à développer l’économie du Québec », mentionne M. Merjuste. Le désir de faire une différence positive dans la communauté était aussi très fort.
Avoir des ambitions entrepreneuriales n’est jamais simple à concrétiser, encore moins lorsqu’on appartient à une première génération d’immigrants. Les obstacles sont plus nombreux sur le chemin du succès.
« En Haïti, j’étais impliqué dans plusieurs projets entrepreneuriaux », raconte M. Merjuste. « On est venu ici en 2008 et j’ai commencé à apprivoiser le monde de l’entrepreneuriat au Québec pour bien le comprendre. Jasmine et moi avons essayé de bâtir deux entreprises, mais ça n’a pas fonctionné. On s’est dit qu’il fallait se donner les outils pour mieux comprendre l’écosystème du pays. J’ai donc fait un baccalauréat en gestion des affaires à HEC Montréal. Un entrepreneur, le plus souvent, est très optimiste. Soit on est fou, soit on est très optimiste. J’ai choisi d’être optimiste avec un peu de folie aussi », avoue-t-il en riant.
Malgré son optimisme, M. Merjuste raconte la difficulté d’être pris au sérieux pour trouver des partenaires et obtenir du financement auprès des institutions financières lorsqu’on est un immigrant de première génération. « Quand on arrive en tant qu’immigrants, on a nos bagages, mais on n’a pas l’historique de crédit souhaitée par les banques. Il faut tout construire de zéro. La méfiance est là : on ne sait pas d’où tu viens, on ne te connaît pas et on ne connaît pas ton histoire; on n’est pas établi dans la communauté… »
Lorsqu’on ne connaît pas le milieu dans lequel on souhaite faire son entrée, le risque de commettre des erreurs est encore plus grand. Sonel Merjuste et Jasmine Exael ont eu la chance de pouvoir compter sur l’accompagnement de deux organismes : PME Montréal et le Groupe 3737, partenaire de RBC.
Le premier financement d’Aliments Merjex a été obtenu grâce à l’aide de l’organisme PME Montréal, spécialisé en accompagnement et financement pour les entrepreneurs. S’il ne s’agissait pas d’une somme importante, celle-ci a néanmoins été très déterminante à l’étape où le couple était rendu pour concrétiser son projet d’entreprise.
Le Groupe 3737, un organisme national sans but lucratif basé à Montréal qui offre accompagnement, coaching et outils de soutien aux propriétaires d’entreprises de la diversité ethnoculturelle avec un écosystème de plus de mille entrepreneurs à travers le Canada, a aussi eu une grande importance pour le couple.
« Leur écosystème est très important pour toutes les communautés et le développement entrepreneurial. Ils ont une connaissance approfondie de l’écosystème entrepreneurial. Quand on a la chance d’être accompagné par eux et soutenu dans la création de son entreprise, il est possible de mieux structurer son projet et d’utiliser leur histoire et leurs contacts. Ils peuvent nous soutenir sur plusieurs plans pour faciliter les choses sur le moyen et long termes. »
Aliments Merjex a donc pu bénéficier de coaching et d’accompagnement pour mieux connaître le milieu des affaires québécois et canadien. Ainsi, trouver des fournisseurs, négocier les baux, trouver des partenaires sont autant d’apprentissages à faire pour développer l’entreprise et s’approprier le « circuit logistique », comme le nomme M. Merjuste, rappelant que le fait d’appartenir à une première génération de migrants en sol québécois ne leur permettait pas de frapper aux portes aisément, puisqu’ils ne savaient pas où aller.
« Le Groupe 3737 est, selon moi, un partenaire exceptionnel et important dans toute visée entrepreneuriale pour la communauté noire. C’est un passage obligé, à mon avis », indique M. Merjuste.
Création de l’entreprise Aliments Merjex
Le nom « Aliments Merjex » est un alliage des noms de famille Merjuste et Exael. Quant à la marque Tempehine, nous étions curieux de savoir s’il s’agissait de la contraction de « tempeh » et « Jasmine », mais il s’agit plutôt de « tempeh » et « protéine ».
C’est lorsque leur fils a annoncé qu’il ne souhaitait plus manger de viande que Sonel Merjuste et Jasmine Exael ont dû trouver des solutions. À l’époque, ils pensaient déjà à mettre sur pied un service de traiteur santé. C’est ainsi que sont nés les Aliments Merjex et la marque Tempehine.
« J’étais toujours connecté à la communauté et impliqué dans des projets destinés à la communauté. Par des essais et erreurs, Jasmine a utilisé le tempeh, qui ne m’apparaissait pas intéressant à première vue. Elle a trouvé différentes façons de l’apprêter. On s’est dit qu’il y avait quelque chose là-dedans, une valeur nutritionnelle qui avait un potentiel. On a découvert une nouvelle source de protéines pour la famille et on a décidé de partager notre expérience avec ce Québec qu’on aime tant. L’aventure a commencé en 2019 et aujourd’hui, je peux dire que nous sommes un joueur assez dominant sur le marché. On ne peut pas parler de tempeh sans parler de Tempehine. »
L’idée, dès le départ, était d’aider les gens à mieux manger. Les principaux objectifs en créant la marque Tempehine étaient de faire redécouvrir le tempeh, mais aussi de simplifier la cuisine aux gens tout en leur offrant une source de protéine végétale bonne pour leur santé.
« L’alimentation est notre médicament; si on se nourrit bien, on devrait être en meilleure santé », précise Sonel Merjuste. « On amène une conscience au niveau de l’alimentation santé qui, en quelque sorte, va avoir un impact sur l’aspect physique. On a osé parler du tempeh, de bien manger et de protéines végétales. Je dirais qu’on a osé, c’est comme un poisson qui nage dans l’air, dans le sens que personne ne s’attendait à avoir un black label dans le domaine alimentaire, et au-delà de l’alimentaire, dans l’alimentation végane. On a osé parce qu’on pense que le « mieux manger » doit être accessible à tout le monde. »
Agilité, résilience et générosité en temps de pandémie
Après avoir traversé plusieurs obstacles et appris à connaître le monde des affaires québécois et canadien, au moment où l’entreprise devait prendre son envol, après quelques mois de dur labeur, un grand imprévu a frappé : la pandémie de la COVID-19.
« Nous allions présenter Tempehine à travers une expo qui devait avoir lieu les 17-18 mars 2020, mais ce qui devait arriver arriva : le Québec a été mis sur pause le vendredi 13 mars 2020. Nous étions pris avec notre stock, qu’on devait vendre sur place. Nous avons dû traverser un grand questionnement : continuer ou arrêter. Le fait qu’on est passionnés, qu’on aime ce qu’on fait – et on le fait avec cœur et amour –, nous a amenés à décider de continuer. Je crois vraiment que le monde a besoin de mieux manger… »
L’inventaire a été partagé, principalement, entre deux organismes pour aider les familles québécoises : Moisson Montréal et Les fourchettes de l’espoir. La réception a été bonne dans la communauté et leur a offert une certaine visibilité.
Une entreprise impliquée dans la communauté
Située à Montréal-Nord, Aliments Merjex est bien implantée dans sa communauté.
« C’est toute une fierté pour nous de faire quelque chose d’aussi bon à Montréal-Nord pour amener un autre narratif sur la communauté. Cela attire d’autres entrepreneurs de la communauté qui voient en nous un ambassadeur, un porte-étendard. On s’implique au niveau du développement entrepreneurial des jeunes à la CDEC de Montréal-Nord, avec qui on a plusieurs types de partenariats, plusieurs interventions, pour partager notre expérience et montrer que tout est possible, même si c’est difficile. Parce que pour Tempehine, on entre sur un marché extrêmement difficile, extrêmement compétitif. Et trois ans plus tard, malgré la COVID, on arrive à être partout au Québec à travers des épiceries, on fournit une chaîne de restauration qui vend ses produits* (burgers) partout au Canada et aux États-Unis. C’est une fierté pour nous en termes de ce qu’on a accompli en si peu de temps et dans des conditions aussi difficiles. »
Une approche gagnante avec le tempeh
Selon M. Merjuste, les avantages du tempeh sont nombreux : près de 25 grammes de protéines par 100 grammes, de nombreuses fibres alimentaires bonnes pour l’intestin et bon nombre d’autres nutriments essentiels au corps humain.
L’innovation est au centre des démarches de Tempehine. Comment rendre accessible le tempeh et, surtout, comment le faire aimer de ceux qui n’ont jamais été en mesure de bien le cuisiner ou d’apprécier son goût?
Il est possible de reproduire toutes les recettes que l’on connaît. Le tempeh haché, une nouveauté de Sonel Merjuste et Jasmine Exael, permet de cuisiner des pâtés chinois, du chili… et même de la poutine avec le burger de tempeh (TempBurger)…
« Le tempeh haché, qui remplace avantageusement la viande, sera l’élément clé de notre succès. On entre dans quelque chose que le monde connaît, le « comfort food ». On parle d’un aliment sain, végane, qui est pour tout le monde, sans aucun produit animal. On touche à tout ce que le marché demande actuellement et l’approche innovante, notre pilier, nous amène à transformer tout ce qui se fait en viande pour le faire avec du tempeh. Outre l’approche santé, on a aussi l’approche du goût pour rendre le tempeh agréable au goût. Notre tempeh haché a gagné la médaille d’argent au grand concours d’innovation alimentaire SIAL-Montréal 2022. »
Les produits Tempehine ont deux certifications reconnues : « Aliments du Québec » et une certification « Aliments biologiques ». Les produits sont marinés, pré-cuits, santé et gourmands. La conscience environnementale est également au cœur du projet : tous les emballages sont recyclables et imprimés avec de l’encre à l’eau. « On est dans cette mouvance non seulement d’aider le monde à mieux manger, mais aussi de protéger la planète du mieux qu’on le peut. »
Aliments Merjex est entourée d’une équipe chevronnée pour développer sa marque, en passant tant par le branding, le marketing et la mise en bouche. Ils travaillent en étroite collaboration avec Richard Lemyre, expert en commercialisation de complètement Agro, et Martin Lamoureux, professeur de chimie au Collège Lionel-Groulx, spécialisé en chimie alimentaire. Son expertise contribue grandement au développement du produit.
M. Merjuste et Mme Exael ont une vision claire de ce qu’ils souhaitent atteindre avec Tempehine dans les prochaines années :
- Faire du tempeh un aliment indispensable et irrésistible dans les menus canadiens. Pour 2023, ils souhaitent se retrouver dans plus de 15 000 assiettes par semaine.
- Devenir un leader en innovation dans le tempeh.
- D’ici cinq ans, faire en sorte que le tempeh au Québec soit « Tempehine ».
« On prend un ancrage solide au Québec, ensuite, on s’ouvrira sur le reste du Canada, les États-Unis et le reste du monde. Tout le monde peut en manger, tant les véganes que les omnivores et les carnivores. »
Parmi les plus belles reconnaissances reçues, M. Merjuste pense à la réception du public après leur passage à l’émission de Radio-Canada « Dans l’œil du dragon ». Les gens les prenaient dans leurs bras, sur la rue, tant ils trouvaient leur passion et leur authenticité sincères.
« Tout ça nous allume, c’est notre récompense. J’ai aussi été surpris et très honoré de nous voir à l’émission « L’épicerie ». Dans un reportage qui parlait du tempeh, ils ont acheté toutes les marques de tempeh pour les essayer et ça a été Tempehine en toile de fond. Ils sont venus chez nous filmer nos processus et Tempehine a été en vedette à l’émission « L’épicerie » de Radio-Canada. »
Le présent article vise à offrir des renseignements généraux seulement et n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques ou financiers, ni d’autres conseils professionnels. Veuillez consulter un conseiller professionnel en ce qui concerne votre situation particulière. Les renseignements présentés sont réputés être factuels et à jour, mais nous ne garantissons pas leur exactitude et ils ne doivent pas être considérés comme une analyse exhaustive des sujets abordés. Les opinions exprimées reflètent le jugement des auteurs à la date de publication et peuvent changer. La Banque Royale du Canada et ses entités ne font pas la promotion, ni explicitement ni implicitement, des conseils, des avis, des renseignements, des produits ou des services de tiers.