En 2020, plusieurs événements tragiques ont mis en lumière des inégalités, éveillant le monde au racisme systémique et aux injustices envers les personnes autochtones, noires et de couleur partout sur la planète ; 30 millions de nouveaux alliés ont réclamé un changement. Comment maintenir l'élan ?

Cette année, dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, nous soulignons les nouveaux dialogues qui émergent enfin après si longtemps ; comment entretenir la flamme et veiller à ce qu’elle ne s’éteigne pas aussi subitement qu’elle a jailli l’été dernier ? En cet incroyable Mois de l’histoire des Noirs, des milliers d’employés de RBC partout dans le monde ont eu le plaisir d’entendre Van Jones, président de l’organisme Reform Alliance, entrepreneur social, auteur et collaborateur politique de CNN, discuter en toute franchise de la façon de maintenir l’élan de changement, d’éviter l’effritement de la solidarité et d’inciter la société tout entière à contribuer à la création d’un avenir meilleur.

En entretien avec Natasha Holiday, première directrice générale, Financement municipal, RBC Capital Markets (US), notre invité a discuté de plusieurs approches pour favoriser l’inclusion, la justice et l’égalité à long terme, afin d’assurer un meilleur avenir pour tous.

Reconnaître ses propres biais et angles morts

Natasha a présenté des statistiques alarmantes. Selon une étude intergénérationnelle des universités Yale et Stanford portant sur l’origine ethnique et l’économie, les hommes noirs élevés dans des familles faisant partie de la tranche supérieure de 1 % des gens les plus riches (soit les millionnaires) sont aussi susceptibles d’être incarcérés que les hommes blancs élevés dans des familles dont le revenu est de 36 000 $ par année. Une fois adulte, un homme noir élevé par ses deux parents dont le revenu économique s’inscrit dans le 90e centile gagne à peu près autant qu’un homme blanc élevé par une mère monoparentale dont le revenu est de 60 000 $. En 2015, le Centre canadien de politiques alternatives a indiqué que, sur le plan des revenus familiaux, 67 % des Canadiens noirs se classaient dans la moitié inférieure de la répartition nationale, comparativement à 47 % des Canadiens non racisés. Des disparités en matière de santé existent partout dans le monde. Et ce n’est là qu’une partie des statistiques.

M. Jones qualifie les chiffres de « bouleversants », mais signale qu’il ne faut pas se laisser décourager par ceux-ci. « Que montrent les chiffres ? a-t-il demandé. Ils montrent qu’un enfant noir qui naît dans une famille aisée se bute tout au long de sa vie à des obstacles qui effritent ses privilèges : des billes sont placées dans les escaliers qu’il gravit et des pelures de banane sont déposées sur le trottoir où il passe. Il s’agit d’obstacles que les autres enfants ne rencontrent pas. »

Il explique aussi que c’est à l’école que les biais commencent à se manifester pour les enfants. « Pour deux enfants dont le comportement est le même, le système réagit différemment, affirme-t-il. Lorsqu’un enfant blanc lance une gomme à effacer dans la classe, par exemple, on dit qu’il est “immature ». S’il s’agit d’un enfant noir, on dit qu’il est “perturbateur ». » M. Jones parle ici d’un « bogue ». « Cet exemple devrait nous donner une leçon pour comprendre combien nous avons été conditionnés. Il s’agit du même comportement, mais la réaction varie en fonction de la couleur de la peau. C’est un bogue informatique. »

Il explique que nous participons tous à cette réalité. Pour y remédier, il faut reconnaître ce qui se passe et faire preuve d’honnêteté.

« En tant qu’homme, j’ai d’énormes angles morts à propos de la réalité des femmes, dit-il par exemple. Avoir des avantages sur d’autres personnes empêche de voir certaines choses. Lorsque notre vie n’est pas en jeu, nous n’y faisons pas autant attention, mais être désavantagé par notre âge, notre origine ethnique ou notre sexe constitue un point sensible. Cela dit, ça nous permet d’accumuler beaucoup de sagesse. La clé est d’inspirer cette sagesse aux autres pour que ces points sensibles se résorbent au fil du temps. »

Miser sur l’investissement et non la charité

Le Plan d’action de lutte au racisme systémique de RBC est ambitieux et comprend des éléments clés pour lutter contre les inégalités. Est-ce suffisant ? Mme Holiday a demandé quel rôle les entreprises et leurs employés peuvent jouer pour faire progresser la société vers une meilleure équité.

« Vivre dans une société capitaliste sans capital, c’est être un poisson sur des terres sèches », explique son invité. Bien qu’il apprécie toutes les subventions accordées aux jeunes, aux collectivités et aux entrepreneurs noirs, il explique qu’une subvention n’est pas un investissement. « Un don n’est pas un partenariat. La charité, ce n’est pas la solidarité. »

Il constate une tendance à voir déficits et problèmes à travers les Noirs, à voir les collectivités noires comme des sources de douleur et de tragédies. « C’est une grande erreur, affirme-t-il. La collectivité noire présente de formidables atouts – entreprises, banques, collèges, universités, lieux de culte, fraternités et sororités, etc. –, ainsi que des génies bien éduqués qui n’ont pas accès à du capital. Tout ce génie gâché dans le monde occidental parce que nous ne faisons tout simplement pas ce qu’il faut et que le capital n’est pas investi là où il est requis, c’est une des plus grandes tragédies. »

Passer à un état d’esprit doublement gagnant

M. Jones ajoute qu’il serait bon pour tout un chacun de réorienter le capital ; selon lui, de bonnes raisons comme des raisons plus égoïstes le justifient.

« Ce n’est pas de la charité, dit-il. C’est un investissement qui permettra de gagner plus d’argent. Ne venez pas me voir en pleurant pour me dire que vous voulez m’aider ; ça ne durera qu’une semaine. Venez me voir parce que vous êtes avide et que vous voulez faire de l’argent, vous amuser, apprendre et en faire plus pour votre famille. Nous pourrons alors discuter, car nos intérêts se rejoindront. »

Un très vaste mouvement pour les droits civils approche à grands pas. Pour le soutenir, M. Jones insiste sur la nécessité de passer à un modèle de partenariat doublement gagnant et de prendre conscience des occasions à saisir.

« Le but n’est pas de soulever un groupe de Blancs qui se sentent coupables et déploient des mesures charitables envers les Noirs, mais plutôt de parvenir à un traitement équitable, à un partenariat équitable, ainsi que de reconnaître le génie de chacun et d’en tirer profit. En outre, il faut que chacun d’entre nous continue à travailler vers la résolution des grands problèmes. »

Changer, même légèrement, son cercle social

Que doivent faire ceux d’entre nous qui n’ont ni capital à investir ni pouvoir de décision pour former des partenariats d’affaires stratégiques ? Il y a beaucoup à faire pour aller au-delà du soutien virtuel et contribuer à créer un véritable changement.

« Le véritable changement provient de relations authentiques avec des personnes réelles, affirme M. Jones. Les gens pensent qu’ils doivent combattre la brutalité policière. Non ! Il suffit de changer un tant soit peu son cercle social. En tissant de nouveaux liens avec un autre réseau, nous devenons infiniment plus puissants, car une nouvelle personne apporte des atouts, une vision du monde et de l’information qui se distinguent complètement des nôtres. »

Il y a aussi des lacunes à combler en matière d’aptitudes. Notre invité explique que l’écoute attentive et l’empathie sont des aptitudes à développer pour favoriser la compréhension et tisser des liens. « Un état d’esprit axé vers le gain unilatéral et la dualité bien-mal nous pousse vers une intransigeance beaucoup plus grande qu’une autre vision du monde. Si nous comprenons notre voisine malgré nos désaccords, nous aurons la possibilité de bâtir un bon voisinage ensemble », affirme-t-il, soulignant ainsi qu’il n’est pas nécessaire de toujours être d’accord avec tout le monde. Le secret, c’est de faire l’effort d’essayer de se comprendre. « Lorsque deux personnes sont en désaccord et ne se comprennent pas, il est impossible d’atténuer les conflits et de résoudre les différends. »

« Ce que nous essayons de faire ensemble n’est pas facile »

M. Jones reconnaît que notre mission commune – soit transformer une société injuste en une société juste – n’est pas facile à réaliser. Il faudra du temps, de la patience et la collaboration de nombreuses personnes. Il faudra un certain nombre d’essais et d’erreurs, mais il croit qu’au fil du temps, nous y travaillerons plus efficacement et plus intelligemment.

« Il ne s’agit pas de charité ; il s’agit d’apprendre à faire de grandes choses, toujours plus brillamment. Voilà l’avenir pour lequel nous battons. Travaillons ensemble à le concrétiser. »

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