Jack Saddleback, homosexuel transgenre bispirituel de la Nation crie Samson à Maskwacis, en Alberta, a souffert d'une grave dépression, a songé au suicide et se sentait étranger à sa communauté. Aujourd'hui, il aide d'autres personnes à s'approprier leur identité
Jack a révélé qu’il était transgenre à l’âge de 18 ans, après une intense période de remise en question. Aujourd’hui, il est un conférencier professionnel qui prône le changement et a su exercer son influence sur la société et le système en ce qui concerne la santé mentale, les disparités sociales, la diversité des genres et des orientations sexuelles et les relations interraciales. Il est également le troisième président du syndicat étudiant de l’Université de la Saskatchewan à se déclarer autochtone et le premier à s’identifier comme transgenre.
En jouant un rôle actif au sein de sa communauté et des conseils jeunesse, en animant des conférences et des ateliers et en racontant son parcours, il aide d’autres personnes qui vivent une crise identitaire, se sentent marginalisées par la société et ont l’impression de ne pas être à leur place à se sentir acceptées. Au cours d’une récente conversation, Jack Saddleback a parlé de son enfance, de l’affirmation de son identité sexuelle et du travail qu’il fait aujourd’hui pour aider et inspirer les autres.
Q : Vous parlez ouvertement de la dépression et de la crise d’identité que vous avez vécues dans votre enfance et votre jeunesse. Pouvez-vous décrire les difficultés que vous avez rencontrées durant cette période ?
Saddleback : J’ai dû relever de nombreux défis pendant ma jeunesse. Être autochtone, queer et trans dans un milieu colonial, cisnormatif et hétéronormatif était très difficile. J’ai été victime d’intimidation, non seulement de la part de mes camarades, mais aussi des enseignants et des administrateurs, et j’ai souffert de dépression parce que je ne me sentais pas à ma place dans cet environnement. Je me sentais extrêmement seul.
Q : Avez-vous aussi été victime d’intimidation de la part de la communauté crie ?
Saddleback : Oui, un peu. Des cousins, des tantes ou des oncles me taquinaient en disant : « Tu es un garçon manqué ! Pourquoi agis-tu ainsi ? » Les gens voulaient que je sois plus féminine. Lorsque je vivais dans la réserve, j’étais parfois considéré comme « la seule personne homosexuelle du village ».
Avec le recul, je constate cependant que si j’ai été pointé du doigt par certains, j’ai le plus souvent senti qu’on m’acceptait comme j’étais, que mon opinion comptait et que je pouvais contribuer au rayonnement de la culture des Cris, remplir un rôle cérémoniel. Le sentiment d’exclusion n’était pas aussi prononcé que dans le quotidien de la vie à Calgary ou de la vie scolaire.
Au final, il est admis que notre culture prône la non-ingérence et que nous sommes tous des êtres humains dotés de dons et de responsabilités dont nous pouvons faire profiter la collectivité d’une manière ou d’une autre.
Q : À l’époque précédant le contact avec les Européens, on appelait les personnes bispirituelles les « Doués » parce qu’elles portaient en elles deux esprits – celui de l’homme et celui de la femme – et étaient considérées comme des membres essentiels de la société autochtone. Les personnes bispirituelles sont-elles toujours considérées et reconnues comme telles dans votre culture, ou est-ce une tradition que vous cherchez à faire revivre ?
Saddleback : Les choses évoluent au sein de la communauté autochtone, mais le processus de guérison prendra encore bien des années. Nous faisons face à des cas où les colonisateurs ont cherché à s’infiltrer non seulement dans nos systèmes comportementaux, mais aussi dans nos normes et cérémonies culturelles. Les gens se basent sur un discours cisnormatif ou hétéronormatif en raison des faits historiques enseignés dans les pensionnats.
J’ai compris, tout au long de mon parcours de vie et de survie, que la revitalisation est en marche. Des gens comme moi et plusieurs de mes frères et sœurs bispirituels et transgenres sont la preuve vivante que notre communauté est en sécurité. Alors que les enseignements sont demeurés tabous pendant des générations parce que nos ancêtres ont vu dans le système colonial une tentative visant à nous exterminer, nous cherchons à redécouvrir ces enseignements pour nous guider, pour déterminer la direction à prendre.
Q : Vous avez révélé votre identité transgenre à 18 ans. Est-ce que cela a marqué le début de votre parcours de guérison et d’acceptation de soi, ou votre parcours avait-il commencé avant ?
Saddleback : Avant 18 ans, j’avais en moi un sentiment que je n’arrivais pas à nommer. Je savais que j’étais en désaccord avec la façon dont il me fallait vivre ma vie et me présenter au monde. J’avais l’impression que tout cela m’était étranger, comme si je faisais les choses machinalement sans vraiment vivre.
Ce n’est qu’à 16 ou 17 ans, quand j’ai découvert l’univers des drag queens et que j’ai commencé à porter des vêtements masculins, que j’ai réalisé à quel point j’étais à l’aise avec la masculinité. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai su que vivre en tant qu’homme était ce qui me rendait heureux et me rassurait ; c’est alors que j’ai ressenti ce souffle de liberté. Je ne me sentais plus obligé d’adhérer à ces notions de devoir vivre d’une certaine façon. Pour moi, c’était prendre en main les rênes de mon propre avenir. C’est ce que j’ai toujours ressenti, mais je ne pouvais pas en parler aux gens avant de trouver les mots pour le faire.
Q : Comment s’est passée cette « sortie » auprès de votre famille ?
Saddleback : Certains étaient plutôt perplexes et disaient des choses comme : « Oh, ce n’est qu’une phase, tu as toujours été un garçon manqué. » Puis ils ont dû concilier la vision qu’ils avaient de moi et ce qu’ils voulaient pour moi, comme grandir et me marier en tant que femme. Ils ont donc dû se réconcilier avec eux-mêmes.
Mais faire mon coming out à Nohkom, aujourd’hui décédée, fut un moment privilégié, car elle m’a simplement dit : « Je te reconnais maintenant. » Elle comprenait pourquoi j’avais grandi comme je l’avais fait, pourquoi je suivais certaines directions. Elle a toujours été présente à mes côtés sans jamais me poser de questions. Elle a su toucher mon esprit et mon être en me disant ce que j’avais besoin d’entendre à ce moment-là. Cette reconnaissance de la personne que j’étais m’a rempli de joie. C’est alors que j’ai trouvé ma voie et su ce qui me rendait heureux.
Q : Avez-vous pris conscience de cette réalité par vous-même, ou d’autres personnes vous ont-elles aidé à trouver votre voie ?
Saddleback : Quand j’ai entrepris de faire la paix avec moi-même, c’était un cheminement personnel. J’ai dû prendre du recul, me poser les bonnes questions et m’autoriser à explorer de nouvelles voies. J’ai essayé le bandage de la poitrine et le port de vêtements masculins, ce qui m’a aidé à sortir de ma chambre et à circuler dans la maison sans que personne ne sourcille.
Je sais maintenant que je peux avancer avec confiance et dire : voilà qui je suis, voilà où j’ai été et voilà où je vais.
Q : Quand vous avez trouvé votre voie, qu’est-ce qui vous a poussé à aider les autres à trouver la leur ?
Saddleback : À l’école primaire comme à l’école secondaire, j’ai connu l’intimidation, l’isolement et la dépression, et je souhaitais éviter à d’autres de vivre la même chose. Je voulais épargner à des membres de la communauté de devoir demander aux anciens et aux gardiens du savoir pourquoi ils étaient différents des autres.
Lorsque je réfléchis à la façon de donner du pouvoir aux individus, je réalise que nous sommes tous en train de guérir collectivement. Non seulement au sein des communautés autochtones, mais aussi dans toute l’île de Turtle. Nous sommes tous en train de guérir des traumatismes du passé et des divergences de points de vue de nos ancêtres, qui ont abouti à la violence. Je veux simplement créer un monde meilleur – un espace où les gens peuvent être libres et grandir dans un milieu où l’on accepte leurs identités multiples, un milieu où ils peuvent bénéficier de toute la bonté dont ils ont besoin pour être pleinement et librement eux-mêmes. Je veux que d’autres puissent avoir dans leur vie quelqu’un qui leur dise ce que feu Nohkom m’a dit : Je te vois, je t’accepte et je t’aime.
Q : Comment votre travail aide-t-il les autres ?
Saddleback : En révélant mon expérience au grand public, je peux créer un espace de rencontre qui permet aux gens de s’identifier à différents aspects de mon parcours. En contribuant à l’élaboration de politiques de ressources humaines et de pratiques d’embauche, en travaillant avec différents paliers de gouvernement pour examiner l’intersectionnalité des programmes, et en utilisant ma voix, je peux faire pression pour améliorer la situation sociale.
Q : Que dites-vous à ceux qui ont du mal à s’exprimer ou à faire leur coming out ?
Saddleback : L’un des meilleurs conseils que je puisse donner est d’aller sur des groupes de discussion en ligne, d’échanger avec d’autres personnes dans des espaces similaires et de créer des liens. J’encourage les gens à se mettre à lire et à se familiariser avec les termes qu’ils utiliseront pour commencer à défendre leurs intérêts. Je conseille aux personnes transgenres de consulter les ressources pour les transgenres.
Je veux aussi que les gens comprennent qu’ils ne constituent pas une encyclopédie pour leur entourage. Il existe de nombreuses ressources auxquelles les gens peuvent se référer. Lorsque j’ai fait mon coming out à mes parents, j’ai pris des brochures dans mon centre LGBT+, que je leur ai données.
Il faut aussi comprendre qu’il y a beaucoup de gens qui sont là pour vous épauler. Vous ne les connaissez peut-être pas et ne les rencontrerez peut-être jamais, mais il y a des gens qui font de leur mieux pour créer un environnement dans lequel vous pouvez être pleinement, librement et authentiquement vous-même. Nous essayons de créer un espace sûr et accueillant pour vous.
Q : Pour ceux qui ne se sentent pas à l’aise avec leur propre identité, quelle est, selon vous, la valeur de l’acceptation de soi ?
Saddleback : L’acceptation de soi est comme une bouffée d’air frais. Elle est régénérante, dynamisante et soulageante. Le fait de pouvoir s’accepter soi-même est une source de guérison, non seulement pour soi, mais aussi pour les autres, qui savent qu’ils méritent un espace pour être eux-mêmes.
Sachez que lorsque vous affichez – lorsque vous marchez dans la rue en tenant la main de votre partenaire ou lorsque vous êtes dans votre environnement de travail – vous rendez la situation plus sûre non seulement pour les personnes qui vous entourent, mais aussi pour celles que ces personnes connaissent.
Aujourd’hui, la présence et le succès de Jack représentent non seulement un aboutissement inspirant de son parcours, mais aussi une lueur d’espoir, démontrant que les jeunes font ce que le Nohkom de Jack a fait : le voir, lui et d’autres autochtones, bispirituels et transgenres, tels qu’ils sont.
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