L'économie autochtone moderne a un immense potentiel de croissance et pourrait représenter 100 milliards de dollars par année d'ici cinq ans, selon Carol Anne Hilton, chef de la direction et fondatrice de l'Indigenomics Institute, qui a lancé un programme économique appuyant les efforts en ce sens.
Carol Anne Hilton est d’origine Nuu-chah-nulth et appartient à la Nation hesquiaht, de l’île de Vancouver. En tant que chef de la direction et fondatrice de l’Indigenomics Institute, Mme Hilton collabore avec les nations autochtones, des administrations publiques et le secteur privé afin de renforcer la capacité économique des Autochtones. Dans son livre Indigenomics : Taking a Seat at the Economic Table (titre qu’on pourrait traduire par Indigenomics : Une vision autochtone de l’économie), elle décrit les fondements de l’économie autochtone en émergence et souligne la nécessité d’un nouveau modèle, d’une nouvelle façon de décrire les choses et d’une nouvelle économie inclusive.
Durant le Mois national de l’histoire autochtone, en juin, des représentants de RBC ont rencontré Mme Hilton afin de discuter avec elle de la vision autochtone de l’économie, de l’importance de l’économie autochtone et des mesures que le Canada doit prendre pour créer une réconciliation économique
Il faut d’abord éliminer l’illusion de la dépendance
« L’évolution du Canada a été directement liée à l’isolement des Autochtones », a expliqué Mme Hilton lors de sa discussion récente avec des représentants de RBC. Les pensionnats et le système de réserves ayant œuvré afin d’isoler la population autochtone du reste du territoire et des habitants du Canada, il en a résulté une ségrégation économique et un déplacement de la population autochtone vers les marges de l’activité économique. « Cela nous a laissés dans un état de désorientation économique », a-t-elle ajouté.
Cependant, en plus de cette situation d’isolement, de déplacement et de désorientation, la relation systémique établie par le Canada avec les Autochtones a donné naissance à un concept de dépendance – selon lequel les Autochtones seraient un fardeau pour la société canadienne.
Pour que l’économie autochtone actualise son potentiel et contribue à la prospérité durable du pays, il faut mettre fin à cette illusion. « La principale illusion qui règne dans ce pays est l’idée que les Autochtones sont un coût pour le système, dit Mme Hilton. Il est essentiel que les Canadiens cessent d’entretenir ce mythe de la dépendance des Autochtones. »
Pour casser ce mythe, il faut apprendre à voir les choses différemment, et Mme Hilton souligne que les Autochtones sont non pas à la remorque de la société, mais plutôt coincés dans un système qui ne convient plus pour le Canada.
« Lorsque nous comprendrons que c’est dans les livres comptables du pays que doit s’opérer la réconciliation économique, nous pourrons laisser derrière l’idée selon laquelle les nations autochtones n’apportent qu’une faible contribution à la société ou sont à sa remorque, dit-elle. Lorsque nous comprendrons ce que signifie la réconciliation économique et à quel point celle-ci est essentielle et fondamentale pour créer une économie inclusive, nous serons en mesure de faire la promotion d’une égalité systémique. »
Changer le langage, changer la perception
Outre l’idée de dépendance véhiculée relativement aux populations autochtones, le langage utilisé à leur sujet est négatif et découle d’une perception selon laquelle ces populations accusent un retard par rapport au reste de la société, affichent les plus hauts taux de suicide, de pauvreté et de chômage et sont les moins instruites. Mme Hilton insiste sur l’importance de parler différemment des Autochtones et de modifier les perceptions.
« Notre travail à l’Indigenomics Institute souligne la nécessité de commencer à mesurer la force économique des peuples autochtones plutôt que l’écart socioéconomique entre eux et le reste de la population. Dans cette démarche, nous utilisons un ensemble d’outils de mesure différent afin d’examiner sous un nouvel angle l’évolution de l’économie autochtone. »
Il est important de parler des réussites économiques des Autochtones – des réussites qui montrent que l’économie autochtone n’est pas un fardeau. Une partie du travail de Mme Hilton consiste à accroître la visibilité de l’économie autochtone et à analyser l’émergence d’une économie autochtone de 100 milliards de dollars par année, laquelle constituera une évolution centrale pour l’avenir du Canada.
En guise d’illustration, Mme Hilton mentionne la récente « tournée d’un milliard de dollars » au cours de laquelle elle a attiré l’attention sur dix nations autochtones du Canada dont l’activité économique représente un milliard de dollars ou plus. « Ce genre de situation doit devenir la nouvelle norme », souligne Mme Hilton, mentionnant, entre autres, l’important projet d’aménagement immobilier de la Nation squamish, qui transformera l’aspect visuel de Vancouver, les investissements dans les pêcheries sur la côte est, ainsi que l’objectif formulé par la Banque de l’infrastructure du Canada, qui compte investir un milliard de dollars dans le cadre de l’Initiative d’infrastructures pour les communautés autochtones.
De tels exemples peuvent se conjuguer et créer une nouvelle perception des Autochtones s’harmonisant avec l’évolution projetée pour le pays. Mme Hilton reconnaît que le système d’éducation n’a pas doté les Canadiens d’un langage propre à favoriser l’établissement de relations avec les Autochtones, mais elle croit qu’un nouveau langage et une volonté collective feront évoluer les choses.
S’ouvrir à la vision du monde des Autochtones
« Notre façon de voir le monde qui nous entoure se reflète dans la façon dont nous le traitons. Si une montagne est une divinité, et non un amoncellement de minerai ; si une rivière est l’une des veines de la terre, et non une source potentielle d’eau d’irrigation ; si la forêt est un lieu sacré, et non une source de bois d’œuvre ; si les autres espèces sont des membres de la même grande famille biologique que nous, et non des ressources ; ou si la planète est notre mère, et non une opportunité, nos rapports avec le monde seront empreints de plus de respect. Par conséquent, le défi consiste à regarder le monde d’un autre point de vue. »
Ce commentaire de l’activiste David Suzuki figurant dans le livre Indigenomics : Taking a Seat at the Economic Table, de Mme Hilton, illustre bien l’idée selon laquelle notre perception du monde influe sur notre façon de nous comporter face à lui. Il met en outre en évidence des différences marquées entre la vision du monde des Autochtones et celle de la civilisation occidentale.
« Dans la vision du monde autochtone, l’économie est relationnelle, et la richesse est fondée non pas sur l’argent, mais sur les relations entre les gens », explique Mme Hilton. La richesse est enracinée dans la générosité, la spiritualité et les rapports humains, et les ressources et la responsabilité sont étroitement liées. Il y a un concept de responsabilité qui transcende les générations, car la vision du monde autochtone porte sur le long terme, alors que la vision de la civilisation occidentale est à court terme et centrée sur le capitalisme.
La vision occidentale est celle qui domine au Canada depuis des générations. Toutefois, pour que les Autochtones puissent devenir des acteurs à part entière sur la scène économique, il faudra reconnaître leur vision du monde et les différences entre les deux visions. En fait, une vision portant sur le long terme peut révéler des occasions de rendre le Canada plus prospère et plus inclusif.
Par son travail à l’Indigenomics Institute, par son livre Indigenomics : Taking a Seat at the Economic Table et par sa participation à des discussions avec des entreprises comme RBC, Carol Anne Hilton contribue à l’avancement de l’inclusion au Canada. Elle encourage les Canadiens à réfléchir à la vision du monde des Autochtones. Elle leur fait également comprendre qu’un contexte faisant des Autochtones de véritables partenaires économiques favorise la prospérité.
Des milliers d’employés de RBC ont accédé à la discussion à laquelle a pris part Mme Hilton ; il s’agit d’un excellent point de départ pour amorcer la nouvelle conversation qui s’impose. Celle-ci devra être d’une portée plus vaste – et être reprise dans les réunions d’autres conseils d’administration, dans les discussions entre décideurs et autour des tables familiales – afin de faire connaître à un nombre croissant de Canadiens les incidences de l’économie autochtone et les possibilités qui y sont associées en matière de renforcement de l’inclusion au pays.
Se rappelant les mots de Murray Sinclair, Mme Hilton conclut par ces paroles : Nous vous avons indiqué une montagne. C’est maintenant à vous de la gravir.
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